La couleur par le prisme du médium pictural, une passion qui se transmet

 Par Emmanuelle LEBLANC,
Artiste, designer et formatrice couleur

Juin 14, 2022

arc-en-ciel en teinture naturelle

Représentée par la galerie belge Archiraar depuis 2015, mon travail a été exposé dans différentes galeries, foires et institutions en France et à l’étranger. J’enseigne les savoirs et savoirs-faire artistiques et techniques liés à la couleur en enseignement artistique supérieur ou professionnel et j’anime des workshops peinture. J’accompagne aussi ponctuellement de grandes entreprises dans le cadre de la conception et animation d’ateliers de co-création dit «team-building artistiques».

Comment enseigner la couleur ?

L’expérience picturale est le pilier de ma pédagogie. La compréhension du phénomène coloré est systématiquement introduite par une pratique plus ou moins poussée de la peinture : qu’il s’agisse d’un public étudiant ou professionnel. Apprendre à discerner précisément les teintes, les saturations et les valeurs inscrites dans une couleur (vue sur un échantillon, une image ou un motif réel) en la reproduisant en peinture, permet de saisir rapidement sa complexité intrinsèque et aiguise l’œil. Cette pratique s’appelle un relevé couleur ou un contre-typage. La réalisation manuelle de couleurs réalisés à partir des ingrédients primaires (cyan, jaune, magenta et blanc) permet à mon sens une acquisition plus incarnée des fondamentaux théoriques de la couleur ; bien que le support d’échantillons manufacturés et de nuanciers nous accompagne aussi sur ces exercices.
Ensuite vient l’apprentissage plus long des méthodes de réalisation de gammes et harmonies, puis celui des terminologies. Rien n’est plus difficile que de parler précisément de la couleur, de la nommer, de communiquer une ambiance à travers le verbe. La couleur fait partie de la vie quotidienne de la plupart des gens, mais en même temps, elle se situe aux limites du langage. C’est la raison pour laquelle je propose aussi au sein de ma formation un atelier d’écriture avec une méthode assez simple pour débloquer et enrichir son langage chromatique.
Selon les disciplines visées, mon enseignement de la couleur peut aller jusqu’à un apprentissage des techniques de représentation (colorisation de scènes illustrées, ou mise en couleur de perspectives architecturales) ou de la couleur appliquée à l’espace (apprendre à jouer avec la couleur pour corriger, accentuer, mettre en valeur les volumes d’un espace donné.).

Différents ateliers d’enseignement de la couleur : réalisation de modèles chromatiques en 2D (cercle chromatique) et 3D dimensions / recherches d’harmonies colorées / Schémas autour de la perception couleur & espace.

L’apprentissage de la couleur mériterait d’être mieux représenté dans le champ des études

J’ai l’impression que cela s’améliore mais historiquement la couleur a toujours été enseignée dans une moindre mesure que le dessin. Cette primauté du dessin sur la peinture ne date pas d’hier. Dès l’Antiquité, avec l’iconoclaste Platon, la culture occidentale considère la couleur comme une catégorie secondaire, un phénomène indomptable assimilé tantôt à un « corps étranger » ou relégué au domaine du superficiel ou du cosmétique. De nombreuses tentatives intellectuelles ont visé à l’éliminer des arts plastiques, de la littérature et de l’architecture. David Batchelor, artiste et auteur écossais, a écrit un ouvrage très étayé à ce sujet intitulé Chromophobie. L’argument central de cet ouvrage démontre qu’une impulsion chromophobe – une peur de la corruption ou de la contamination par la couleur – se cache dans une grande partie de la pensée culturelle et intellectuelle occidentale.
De fait, aussi étrange que cela puisse paraître, la couleur a toujours été peu enseignée et pratiquée à l’école, et d’autant moins de manière approfondie. Dans les études générales, cela peut s’entendre, mais c’est également le cas dans les études artistiques. En étude d’arts appliqués, il arrive fréquemment que le cours de couleur ne concerne que la première année, voire un semestre ou juste le temps d’un workshop et ne soit pas maintenu sur les années supérieures. Le cours de couleur peut aussi se voir insérée dans une discipline un peu fourre-tout intitulée pratique plastique où son usage relève plus d’un apprentissage empirique opportuniste que d’un réel enseignement à proprement parlé. Aussi, nécessaire dans l’apprentissage de l’aménagement de l’espace, de la plus petite à la plus grande échelle, la couleur en école d’architecture se résume souvent à des interventions extérieures ou des séminaires ponctuels et fait rarement partie des enseignements fondamentaux.
Et pourtant : que de tracas avec ce médium facétieux et versatile, que de choses à observer, expérimenter, étudier pour comprendre toute sa phénoménologie, sa matériologie, ses usages, ses symboliques, etc. La couleur est exigeante et son usage raisonné demande de l’observation, de la méthode et de la pratique, du temps en somme

Formation couleur appliquée au secteur maison.

Le médium pictural et la couleur comme vecteurs d’épanouissement collectif auprès des entreprises

Je conçois et anime des ateliers sur mesures pour des PME ou des grands groupes, ouvert à toutes les strates de l’entreprise (collaborateurs, cadres, managers). Chacun collabore sur la réalisation (et parfois la conception) d’une œuvre collaborative qui fait sens pour l’entreprise, la plupart du temps de nature picturale et polychrome. Le teambuilding artistique est une pédagogie ludique accessible à tous basée sur l’expérience et l’action créative.
Après la période d’introspection que l’on a vécu durant la période critique de la pandémie, Il y a actuellement un besoin perceptible de cohésion des équipes dans les entreprises. Produire du beau et insuffler du bien-être au sein de ces dernières sont aussi des sujets de réflexion qui peuvent être menés par ce biais. A ce titre la couleur est un vecteur idéal. Elle concerne et touche tout le monde. On se rend compte que même les plus réfractaires ou les moins enclins a priori à participer se prennent au jeu assez rapidement. Chacun des participants est invité à mettre en couleur un fragment de l’œuvre qui a été morcelée en différentes toiles préalablement apprêtées et esquissées. Il ne connaît en amont pas le dessin de la maquette générale. Seule moi qui l’ai conçu le connaît. Durant la réalisation, le participant baigne dans la couleur pure, se laissant guider par quelques règles du jeu simples et fait appel à son instinct chromatique naturel, sans avoir à se soucier de ce que cela représente au final, cette partie ayant été pensée en amont. Le motif ou le dessin général lui est dévoilé à la fin de la session, lorsque les toiles ont été complètement colorisées et recomposées côte à côte. Les résultats sont à chaque fois bluffants. C’est le moment galvanisant pour les clients. Même si en amont il y a un gros travail de conception et de logistique, l’opération atteint immanquablement ses objectifs. Je n’ai pas souvenir qu’une opération de ce type ait pu échouer.
Les motifs, thématiques et gammes colorées abordés dans ces fresques sont à chaque fois différentes et adaptés au public concerné. On remarque malgré tout certains poncifs dans les goûts et les demandes des clients que je tente souvent de satisfaire mais aussi de contourner ou de faire évoluer pour éviter les redites ou les effets de mode et réaliser de vraies propositions sur mesure et créatives. A chaque fois la palette est très travaillée et je propose des assortiments de couleurs harmonieux et vibrants qui sortent du simple jeux des primaires / secondaires / tertiaires.
Une partie de l’opération consiste aussi à offrir à ces collaborateurs, le plaisir simple de pouvoir manipuler de belles couleurs vibrantes ; En cela, cette activité offre déjà sur le moment de la réalisation un capital satisfaction assez élevé.
La réalisation d’ouvrages collaboratifs telle que je les conçois à ceci de différent par rapports à d’autres interventions de type évènementielles qu’elle a une vocation pérenne et permet de communiquer à l’échelle de l’entreprise. En effet, en amont ou à l’issue de l’expérience, il est fréquemment demandé que les œuvres soient exposées au sein des sièges sociaux ou des espaces collectifs (open spaces, accueils, bureaux, etc). Il arrive même que la commande de ce type d’ouvrage soit délibérément faite pour améliorer le cadre de vie des salariés de l’entreprise.

Les dernières touches d’une œuvre picturale collaborative

La couleur est le motif principal de ma pratique artistique : un parcours entre figuration et abstraction

Même si mon travail actuel est tourné vers une forme de minimalisme, mon parcours décrit un va et vient entre figuration et abstraction.
Mes premiers tableaux étaient de grands portraits réalisés à échelle humaine. On peut penser qu’il y a un écart important entre la production des débuts et ce que je réalise actuellement, mais il y a une continuité ténue et tenue avec le travail de la lumière, a fortiori de la lumière colorée.
Il y avait déjà un travail assez manifeste autour du clair-obscur. Le fond était cette surface quasi monochrome : opaque ou réfléchissante qui venait interagir avec la carnation du modèle. J’ai finalement fais disparaître la figure pour ne garder que le fond. Je me suis concentrée sur le travail des atmosphères, dans une version actualisée de la tradition du sfumato. Aujourd’hui, les phénomènes optiques (arc-en-ciel, phosphènes, diplopie…) ou atmosphériques (brumes, gloires, aurores boréales… ) sont des sources d’inspiration majeure. Lumière et couleur sont devenus mes motifs principaux. L’image ayant été quelque peu dissoute avec la série principale actuelle intitulée Diffuse.
Pour autant, je ne pense pas être devenue une peintre abstraite dans le sens ou mon inspiration part toujours d’un ancrage réel ou iconographique. Aussi Je me positionne à la lisière de plusieurs mondes – abstraction / figuration, tradition / technologie, matériel / immatériel, mettant délibérément en doute ces catégories.

Ma palette est assez mouvante, comment je conçois mes coloris et mes ambiances ?

Chaque voyage que je réalise nourrit ma palette de nouvelles atmosphères chromatiques qui se cristallisent presque instantanément dans mon travail pictural.
A ce titre mon travail a été qualifiée par le critique d’art Julien Verhaegue de peinture atmosphérique. Des grisailles de ciels nordiques aux ors italiens en passant par les eaux soufrées d’Islande, l’environnement extérieur exerce une influence directe sur ma palette et participe amplement à la renouveler. Ces paysages, ces ambiances, ces couleurs locales sont captées, analysées, assimilées, puis synthétisées en peinture.
J’ai récemment voyagé en Inde dans le cadre de deux résidences artistiques. Ce fut un choc de tous les sens. J’ai fini par me laisser séduire par la polychromie ambiante et me suis surprise à me passionner pour des couleurs qui n’étaient jusqu’ alors jamais apparues dans mes palettes originellement plus en demi-teinte : des oranges intenses, des safrans, des bleus vibrants et surtout des verts viridiens. J’ai même acheté des tubes de ce vert sur place. Généralement, je fabrique mes verts avec des jaunes et des bleus, mais ce vert-là est bien trop vibrant pour être obtenu par mélange. Le voyage en Orient a eu un impact durable sur mon travail chromatique, comme ça a pu être le cas pour de nombreux artistes voyageurs.

Vue d’atelier – Diffuses en cours d’exécution.

Comment je détourne les techniques picturales traditionnelles pour obtenir une esthétique contemporaine ?

Mon travail débute par le traitement numérique ou la photographie -technique de capture lumineuse par excellence. Ces outils me servent à collecter des informations visuelles, esquisser ou concevoir. Le travail se prolonge, s’inscrit ou se redéfinit ensuite au cœur de la matière picturale, avec une attention particulière sur la tradition du faire.
Mes peintures sont exécutées à l’huile. C’est une technique qui permet une incroyable amplitude d’effets. Elle donne de la lumière aux tons et de la profondeur aux nuances. Utilisée en glacis, elle permet d’exécuter des modelés virtuoses qu’aucune autre technique de peinture ne permet.
Aussi mes peintures présentent un aspect assez immatériel dans le sens où j’efface en quelque sorte mon geste de peintre. Je précise que je peins essentiellement au pinceau. Cela me permet des mélanges de couleurs plus directs, de travailler de manière plus organique. Ma touche est systématiquement lissée voire poncée à chaque passage de glacis : jusqu’à ne laisser apparaître qu’une mince pellicule colorée à la surface de panneaux de bois ultra poli ou de toiles bien tendues.

Ma peinture et sa perception par le public

Concernant la série des Diffuses, elle provoque chez les spectateurs des réactions assez immédiates. Malgré l’absence de mimesis, les émanations colorées des diffuses offrent des sensations directes qui ne nécessitent pas de support narratif ou explicatif. Aussi, considérant que la couleur est un langage à la fois universel et individuel, ces peintures font réagir un public et des sensibilités très différents : féminin et masculin, jeune ou plus âgé, érudit ou peu instruit, occidental ou non…
Aussi, Les diffuses sont fabriquées de telle manière que les coloris sont relativement changeants. Selon les contextes ou le temps consacré à l’observation de l’œuvre, il se peut que l’on perçoive ces changements en temps réel. J’aime l’idée que ma peinture puisse être considérée comme vivante. En ce sens, il est bien de se laisser imprégner pour vivre l’expérience de la versatilité de ces couleurs et de notre impermanence perceptive.

Faire découvrir et expérimenter mes techniques picturales

 

J’anime depuis quelques années des workshops autour des techniques traditionnelles picturales intitulés « petites suites picturales » qui fait écho à ma série intitulée La ligne de peinture.
Les participants découvrent et expérimentent différents matériaux et techniques que j’utilise dans mon propre travail : encollage et peinture à la colle de peau, broyage de pigments, huiles, vernis, encaustique, tempera, dorure à la feuille, etc.
Ils abordent aussi différentes factures : glacis, sfumatos, modelés, touche divisionniste, etc. En prenant comme exemple différentes références de l’histoire de la peinture, on parvient à élaborer différentes palettes picturales qui vont du céleste au végétal, en passant par les différentes carnations, les clairs-obscurs, les couleur-lumière, etc. Ces workshops s’adressent à des personnes qui ont déjà quelques notions en couleur.

Petites picturales 2022, workshop réalisé auprès d’étudiants de l’ISCID (Institut Supérieur Création, Image, Design).

C’est une approche empirique des relations entre matière, couleur et lumière en peinture. Une expérience tremplin pour la réalisation d’une œuvre collective modulaire au statut hybride, située à mi-chemin entre le nuancier et la frise picturale. Chaque participant réalise une séquence picturale personnelle (longueur, coloris, qualités de surfaces, signes et iconographies propres à chacun(e)s) au sein d’un ensemble plus vaste. Il lui est demandé – pour faire œuvre collective – de travailler la cohérence du tout. Il s’agit là d’un travail à la fois individuel et collégial.

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